Une cathédrale en feu, tous les regards tournés vers elle, une communion de chagrin dans le silence .et pourtant ce ne sont que des pierres, et pourtant il n’y a pas cette fois de massacres qui terrifient, alors que vivons-nous de si singulier ce lundi après le dimanche des Rameaux ?
Une expérience métaphysique nous saisit, l’importance du symbole nous apparait alors qu’il est en train de disparaitre. Nous nous reconnaissons humains par-delà les frontières et les différences, humains par le fait même d’avoir besoin du symbole pour vivre.
Dans ce siècle hyper matérialiste où nous serions presque persuadés que ce qui nous rendrait heureux serait de consommer toujours plus, et de souffrir de ne pas avoir assez pour acquérir encore et encore, une cathédrale en feu, pas n’importe laquelle certes, Notre Dame de Paris, vient nous réveiller, nous faire lâcher nos écrans et autres objets pour revenir à l’essentiel, la beauté, la culture, la relation, la spiritualité, la fraternité, la générosité.
La technique hyper sophistiquée n’a rien pu pour la sauver cette cathédrale, ce sont des femmes et des hommes qui vaillamment sont allés au secours de ce chef d’œuvre bâti par d’autres femmes et hommes dans d’autres siècles, bâti juste pour la beauté du geste, pour une louange à un mystère qui nous dépasse .
Et partout dans le monde, le futile s’est arrêté, le temporel a laissé la place au sauvetage de l’intemporel, à la prière profane ou religieuse pour que ces pompiers gagnent sur le feu et la sauve et sans doute aussi nous sauve.
Et nous, gagnerons nous sur le feu ? Le feu qui brule notre Terre nourricière, le feu qui brûle notre âme qui se languit de vivre, sur le feu de l’avidité, de l’envie, de la haine qui nous sépare les uns des autres.
S’est superposé un instant à la vison de ND en feu, tous les regards tournés au ciel vers la lueur, l’apparition de la Vierge à Notre Dame de Fatima, comme si cette fois, la Vierge apparaissait dans sa possible disparition. Une figure maternelle délaissée, ou prise comme inconditionnelle dont on prenait soudain conscience de la fragilité.
Et la réapparition du sacré dans nos vies. Nous étions tous sœurs et frères de la transcendance dans cette nuit-là. Car comme l’a redit François Cheng mercredi, il n’y a pas de fraternité sans transcendance, sinon c’est le fratricide
Oserons-nous construire cette fraternité ? Oserons-nous quitter nos individualismes exacerbés ? Oserons-nous dépasser les clivages ? Oserons-nous perdre du pouvoir ? Oserons-nous inventer une autre manière de vivre les uns avec les autres ?
Cette fraternité se construit doucement dans l’expérience d’être seul et ensemble, solitaire et solidaire -centré et ouvert, au-delà des affinités, des jeux psychologiques, des narcissismes.
Une pratique sans prétention, humble au jour le jour où le proche et le moins proche deviennent le prochain, celui que l’on attendait, celui qui nous rend à nous-mêmes, à notre profondeur.